Le requin est-il réellement Un monstre sanguinaire?
Mon premier article sur les idées reçues, premier car j’aimerai constituer une série, en écrire plusieurs si cela vous intéresse. Je n’ai pas eu à réfléchir longtemps pour en trouver le sujet, puisqu’il est venu tout seul ! C’est dire comme j’ai souvent entendu cette phrase et comme c’est ancré dans les mentalités.
Que l’on se le dise tout de suite, je n’écris pas cet article parce que je pense être plus courageuse que quelqu’un d’autre, ce n’est en aucun cas le but de ce billet. En toute honnêteté, Je pense que je ne ferai pas la maligne si en barbotant dans l’océan un requin se pointait et venait voir de plus près à quoi je ressemble ! La peur est humaine, je pense juste qu’il faut qu’elle soit justifiée, que de manière générale il est bon de chercher à comprendre pourquoi nous avons peur.
Qui sont les requins ?
L’ordre des requins, squales (ou selachimorpha, nom scientifique pour faire impression lors d’un dîner) est apparu il y a environ 430 millions d’années, bien avant l’arrivée des dinosaures. En 2012, cette étude publiée dans Bulletin of the American Museum of Natural History du chercheur Gavin Naylor a notamment permis d’identifier 38 nouvelles espèces de requins. En 2015, on recensait donc 465 espèces de squales, le plus petit d’entre eux, le « sagre elf » mesure 15cm, le plus grand est le requin-baleine pouvant atteindre 20 mètres de long. Parmi toutes ces espèces, on trouve donc des très petits, des géants mais aussi des individus quasiment dépourvus de dents pour certaines espèces. Seules 5 d’entre elles sont qualifiées de dangereuses, rapporté au nombre d’espèces connues, je pense que l’on sera d’accord pour dire que c’est peu !
Les requins peuvent être très impressionnants, en seconde position, après le requin-baleine et sa taille défiant toute concurrence, vient le requin-pèlerin pouvant mesurer jusque 12 mètres. Néanmoins, ces deux maous costauds sont des gentils, puisqu’ils ne se nourrissent que de plancton (ensemble des micros organismes en suspension dans l’eau) et de crevettes. L’humain ne faisant pas partie de ces deux catégories, ils sont totalement inoffensifs pour nous, rien à craindre de ce côté là nos gambettes ne les intéressent pas !
En poursuivant mes recherches, j’ai appris que les requins possèdent deux sens de plus que l’humain (les veinards), une ligne latérale le long de leur corps permet de détecter les vibrations et leur tête est capable de capter les champs magnétiques (battements du cœur par exemple). Cela leur sert pour chasser, avoir connaissance de la présence d’autres animaux.
Si on récapitule, les requins ont donc toujours été présents sur Terre, ils ont survécu à 5 extinctions massives, dont celle qui a fait disparaitre les dinosaures. Rien que cela me fascine et m’intrigue cela les rend d’autant plus intéressants. Ce sont des animaux qui présentent une biologie très ancienne, un grand pouvoir d’adaptation et qui ont une fonction primordiale dans l’écosystème marin on le verra plus bas dans l’article.
État des lieux et mauvaise réputation
On parle beaucoup des attaques et accidents perpétrés par les requins envers les nageurs, mais en réalité, quels sont les chiffres concernant la mortalité due aux requins ?
Les attaques mortelles de requins sont en moyenne de 10 par an. A titre de comparaison :
• Moustiques → 2 millions de personnes par an perdent la vie (chiffre issu de l’étude menée par l’Institut océanographique de Monaco, relayé par les journaux Le Monde, Le Figaro entre autres).
• Serpents → entre 100 000 et 120 000 personnes tuées par an.
• Éléphants → environ 600 décès par an.
• Méduses → 100 morts par an.
• Selfie → 12 morts en 2015 (sources The Independent et The Guardian).
• Requins → 8 tués en 2015.
Au vu de ces chiffres on en déduit que les squales souffrent clairement d’une mauvaise réputation.
Ça peut prêter à sourire mais la première cause est le fameux film Les dents de la mer, sorti en 1975, cela prouve bien que les idées reçues ont la vie dure. Ce film a eu comme conséquence de faire naître, d’amplifier et de propager le mythe de la peur vis-à-vis de ce soi-disant monstre qu’est le requin. Or, celle-ci est basée sur l’ignorance la plupart du temps, la majorité des personnes n’essaie pas d’en savoir plus, d’apprendre à connaitre ces animaux.
Face à cela, les médias ne sont pas en reste. En ne remettant pas l’accident mortel (ou non) dans son contexte mais en présentant uniquement le fait qu’il y ait eu morsure ou décès, ils véhiculent l’image d’un monstre mangeur d’hommes. On peut aussi parler des documentaires où souvent la production demande des images « chocs », qui font peur, pour rendre le film documentaire plus attractif. Pour y parvenir les techniciens et scientifiques sont obligés d’appâter les requins pour recueillir des images de gueules ouvertes pleine de dents tranchantes.
Je suis consciente que des personnes ont déjà perdu la vie à cause d’une attaque de requin mais je pense vraiment que ces supports visuels n’ont fait qu’alimenter cette croyance dont pâtissent les requins. Un exemple, l’orque est un prédateur encore plus dangereux que le requin blanc et pourtant depuis longtemps l’Homme n’en a pas peur, il bénéficie d’une bonne image. Les marineland et autre Sauvez Willy y sont certainement pour quelque chose. L’orque n’étant évidemment qu’un exemple pour illustrer mon propos, je n’encourage bien sûr pas à craindre cet animal.
Il faut savoir qu’un nageur/se, surfeur/se qui agite ses bras et jambes pour nager ou les laisse pendre de part et d’autre de sa planche ressemble beaucoup, pour le requin, à une tortue ou à un phoque, pour peu que l’eau soit trouble, le risque de confusion est dans ce cas accru. Une morsure est en fait comme un test, une observation pour savoir à quoi il a affaire, les squales n’ayant ni bras ni mains, ils tâtent, touchent avec leur gueule. Les spécialistes s’accordent pour dire qu’en aucun cas c’était dans une intention prédatrice. Même si j’en conviens, pour l’humain cela peut avoir de graves conséquences.
Il y a une véritable augmentation du facteur risque depuis que l’humain s’est mis à fréquenter les littoraux, depuis que le tourisme sur ces zones littorales s’est développé, ça parait logique, il y a plus de chances que l’humain et le requin se rencontrent. Certaines activités touristiques accroissent le risque d’accidents dû aux requins. Puisqu’elles peuvent impacter sur leur comportement, c’est le cas du ray « feeding » de masse. Il s’agit d’une activité de nourrissage des raies, généralement un groupe important de visiteurs qui jettent à l’eau de la nourriture pour à la base nourrir ces dernières. Sauf que l’odeur de la nourriture, attire les requins qui s’approchent, l’agitation des touristes, les cris, etc. provoquent de la nervosité auprès des requins, le nombre important de personnes à l’eau augmente la turbidité de l’eau, brouille les pistes des requins pour partir, il peut y avoir des risques de confusions entre jambes, raies ou appâts. La probabilité qu’il y ait un accident est donc importante. Le scénario est le même concernant le « baiting » qui est une activité d’appâtage (traduction littérale) direct des requins, afin de répondre à la demande de sensations fortes des touristes, de leur permettre de voir les requins au plus près.
Ces activités touristiques, notamment pratiquées en Polynésie française, à l’ile de la réunion,… mais aussi la surpêche, entrainent un changement du comportement des requins. Ces derniers s’approchent davantage des côtes, donc des humains, pour trouver leur nourriture qui fait désormais défaut au large et peuvent prendre l’habitude d’être nourris par les touristes.
Le réchauffement climatique et le rejet de déchets alimentaires directement en mer (rejets d’effluents de poissons de certains ports) sont également des facteurs qui impactent les mouvements des requins. En effet ils vont aller vers des zones où ils n’étaient encore pas présents parce que leurs proies désormais s’y rendent ou alors parce qu’il y a moins de poissons en zone habituelle, se rapprocher des côtes.
Menace et protection
La relation de cause à effet est bien là. La méconnaissance du requin, sa mauvaise réputation et le trafic d’ailerons ont eu pour effet direct le déclin des populations.
Plusieurs espèces sont menacées, c’est le cas du requin-marteau, du requin-baleine et du requin-pèlerin (il en resterait 8000 dans le monde). La population de squales a reculé de manière globale de 90%, 100 millions de requins sont péchés chaque année dans le monde, un véritable massacre. Et pourtant ce sont des prédateurs indispensables pour les écosystèmes marins, ils contrôlent une grande partie des niveaux inférieurs de celui-ci. Je m’explique, les requins mangent les poissons d’échelons inférieurs, qui eux-mêmes se nourrissent de phytoplancton. Si on supprime les requins de l’équation, les populations de mangeurs de plancton ne vont plus être régulées, ils vont proliférer, il y a donc un risque d’épuisement du fameux plancton. Or, le phytoplancton est le plus gros absorbeur de CO² présent sur Terre, en engloutissant ce dernier il fabrique 70% de l’oxygène que nous respirons. Le requin est un maillon important de la chaine alimentaire, ce cheminement explique donc pourquoi ils sont essentiels à la vie sur Terre en général en plus de l’être pour les océans. Leur disparition serait un grand bouleversement de la chaine alimentaire complète, un changement irréversible. Un écosystème est un ensemble, il regroupe l’environnement et les espèces qui y vivent, tout est lié. Il ne s’agit pas uniquement de la survie des requins donc. Le Docteur Erich Ritter va jusqu’à dire que « l’extermination en cours de ces grands prédateurs est la plus grosse bombe écologique à retardement enclenchée par l’humanité… ». Les océans représentant 70,71% de la superficie du globe, si leur structure est modifiée cela aura des répercussions sur la vie sur Terre.
La menace est d’autant plus inquiétante que les requins présentent une faible capacité reproductrice (fait intéressant tous les requins ne se reproduisent pas de la même manière), une maturité tardive.
Mais pourquoi les requins sont ils péchés ?
• Pour la gastronomie
• Par chasse aux requins suite à des accidents mortels (ex du plan d’abattage en Australie).
• Par erreur dans les filets (pêche à la palangre par exemple puis selon les profondeurs et la turbidité de l’eau les filets sont quasi invisibles pour les requins mais aussi les tortues)
Le motif qui porte le plus atteinte aux populations de requins est la pêche pour les ailerons. L’Homme coupe sans scrupule les ailerons des requins encore vivants (un véritable trafic mondial, impliquant les mafias taïwanaise et autres) et les relâche tel quel en mer, j’ai eu bien du mal à garder les yeux dirigés vers l’écran lors de ces images dans les documentaires. En Chine la soupe aux ailerons de requins est un met royal et très demandé, les comprimés à base d’ailerons de requins sont également très consommés. Tout cela à cause d’une croyance, en Asie les gens prêtent des vertus médicinales à la consommation d’ailerons de requin, ce dernier ne serait jamais malade, serait robuste. Mais cela demeure une croyance puisque ce n’est en rien prouvé scientifiquement.
Ce n’est pas facile de protéger les requins car les gens les craignent, souvent ils ignorent ce qu’il se passe ou n’y sont pas sensibles et les préjugés nuisent à la nécessité de les protéger. Il convient de prévenir, informer les populations et les touristes, surveiller les activités nautiques pour tenter de rendre les gens plus vigilants lors des baignades mais aussi d’essayer de faire évoluer les mentalités afin que cette mauvaise image du requin mangeur d’homme disparaisse.
Quelle idée vous faites vous des requins? En avez-vous déjà rencontré volontairement ou involontairement ? Avez vous aimé cet article, est-ce que l’idée d’une série d’idées reçues vous intéresse?
N’hésitez pas à me laisser un commentaire je suis curieuse!
Aquarelles réalisées par la pétillante Lou Ripoll, créatrice de la marque Bleu tango
Sources :
• Les travaux du Docteur Erich Ritter, le seul biologiste de terrain au monde spécialiste du comportement des requins et de l’interaction homme-requin
• Les travaux de Mike Hoover
• Sharkwater- Les Seigneurs de la mer Un très bon film documentaire écrit, réalisé et produit par Rob Stewart, sorti en salle en 2008
• Les actions de Sea sheperd dirigées par le capitaine Paul Watson, le fondateur de cette organisation de défense des océans la plus combattive au monde
Whouaou ! Super article Adeline ! J’ignorais complétement le lien plancton – requin – CO2 !
J’ai appris plein de choses dans cet article, merci !
De rien Lou, c’est un plaisir d’avoir un retour sur cet article pour lequel je me suis beaucoup documenté et que j’ai adoré écrire.
Bonjour Adeline,
J’ai eu a plusieurs reprises l’opportunité de nager avec des requins, c’est une super expérience. Des centaines de millions d’années d’évolution pour aboutir à la perfection entre l’être et son élément.
Voilà une très belle synthèse sur un sujet important qu’un trop grand nombre de personnes ignore encore.
Vivement le prochain !
Merci beaucoup du retour sur cet article mais surtout pour votre témoignage. Je n’en doute pas ce devait etre impressionnant et magique…
Permettez-moi de mentionner l’ouvrage d’un des collaborateurs du regretté commandant Cousteau, accessible aux néophytes comme moi, qui traite bien de la thématique :
« Eloge des mangeurs d’homme – Loups, ours, requins… sauvons-les ! », par Yves Paccalet aux éditions Arthaud.
Bien à vous
Bonsoir Benjamin
Il faut se permettre, vous avez eu bien raison. Merci beaucoup pour ce partage d’informations! L’ouvrage colle parfaitement à l’article, je vais de ce pas chercher plus de détails concernant ce livre.
Bon weekend